Chapitre 1

Conception et naissance


Peter Halford, Andy Brown, Chris Shaw, Barry Muncaster et Paul Kaufman à la fête duat the launch party at Coworth Park

C'est le 27 janvier 1983 que la société Oric Products International lance officiellement l'Oric-1, à son quartier général de Coworth Park Mansion, Sunninghill, près d'Ascot. Peter Harding, directeur commercial de 34 ans à peine, annonce six gros contrats avec des magasins du centre de Londres, pour la fourniture de plus de 200 000 unités. Il ajoute : "Nous allons battre Sinclair en offrant beaucoup plus pour beaucoup moins cher".

Alors qu'Oric naît porteur de si belles espérances, il nous faut revenir en arrière pour en raconter la conception. C'est en octobre 1979 que le Dr Paul Johnson et Barry Muncaster créent la société Tangerine Computer Systems, près de Cambridge, pour produire le calculateur Microtan 65. Le nom suit la mode de l'époque qui consiste à affubler les marques d'ordinateurs de noms de fruits.

Au cours de l'été 1981, Paul Kaufman rejoint Tangerine et devient rédacteur en chef du magazine Tansoft Gazette, lancé en octobre de la même année. Au début de 1982, Tangerine se sépare de sa branche Tandata Prestel, emménage au Cambridge Science Park et se dote d'une division logiciels, Tansoft.

C'est à ces tout débuts que se fait jour l'idée de pénétrer le marché naissant des ordinateurs familiaux. En avril 1982, la société Oric Products International est fondée et se met immédiatement au travail sur la conception de l'Oric-1, avec l'aide de Tangerine dans le domaine de la recherche et du développement. L'objectif premier est de produire une ordinateur de bureau destinée aux cadres et pouvant se connecter au service télématique Prestel. Quelque temps auparavant, Paul Kaufman a rédigé ce qu'il estimait être le cahier des charges du 'Microtan 2' : son et graphisme, modulateur, etc. Cela s'est traduit, fin 1981, par l'ébauche du "Tangerine Tiger", une machine de bureau à trois processeurs : le Z80 pour CP/M, un 6809 pour la gestion des E/S, des disques et de l'impression, et une puce graphique. Finalement le projet est cédé à une société du nom de H.H. Electronics et ne sera jamais commercialisé. Le Microtan 2 complété par une fonction Prestel va en fait servir de base à l'Oric .

A ce stade, constatant les résultats de Sinclair, les financiers qui sont derrière Oric souhaitent que le produit vise un marché plus vaste. C'est ainsi que naît l'Oric-1, dont le premier prototype n'en conserve pas moins une allure de gadget pour cadre branché, avec son boîtier en teck et sa couleur vert pomme !

L'Oric-1 est annoncé dans le numéro d'août-septembre 1982 de Tansoft Gazette, qui contient un bon de réservation valable jusqu'au 1er novembre.

Oric International se lance avec un capital de 1250 £ (12500 F probablement la seule fois où la société n'a pas été dans le rouge). A propos, le nom Oric n'est autre que l'anagramme des quatre dernières lettres du mot "micro" et n'a aucun rapport avec "Aurac", nom d'un ordinateur dans une série télévisée de l'époque.

Les parts de la société sont réparties de la façon suivante entre les dirigeants :

Directeur général : John Tullis
Directeur commercial : Peter Harding
Directeur financier : Ted Plumridge
Directeurs de Tangerine : Paul Johnson et Barry Muncaster

Le financement provient de British Car Auctions dont le PDG, David Wickens, est un ami de John Tullis. Tangerine cesse la commercialisation et Tansoft devient une société à part entière, ayant Paul Kaufman pour Directeur général. Un Oric 16 Ko coûte alors 129 £ et le modèle 48 Ko 169,95 £. Un modem à 79.95 £ est également annoncé en janvier.

Le premier à publier un banc d'essai de la nouvelle machine est l'hebdomadaire informatique Popular Computing Weekly, le 13 janvier 1983. Sous la manchette "Oric-1 - not just a Tangerine dream" (jeu de mots sur le nom d'un groupe musical en vogue), le produit est décrit comme le premier micro-ordinateur couleur à moins de 100 £ (1000 F). Il s'agit bien sûr de la version 16 Ko. La présence d'une prise imprimante Centronics est qualifiée d'"extraordinaire, du jamais vu sur un ordinateur aussi bon marché". Le manuel provisoire fourni avec les premières unités fait certes l'objet de critiques, tout comme l'absence d'un éditeur de programme. Cependant, d'une manière générale, le banc d'essai est très élogieux. On peut même y lire ces quelques phrases prémonitoires :

"Oric a fait la part belle dans ses publicités aux avantages de sa machine pour une utilisation professionnelle. On met en avant la disponibilité du modem et on nous promet (sous toutefois citer de date) un lecteur Microdisc et une imprimante rapide."
Chaque coffret d'Oric-1 contient un exemplaire d'Oric Owner nr.1, janvier-février 1983, édité par Tansoft en remplacement de Tansoft Gazette. Tansoft annonce également ses premiers logiciels : Zodiac (adapté de la version Microtan), Oric Chess et OricBase. Et puis, cette prédiction de Paul Kaufman qui, rétrospectivement, laisse songeur :

"Un Basic étendu, équivalent du Basic BBC, est presque prêt à entrer en production."
Le jour du lancement de l'Oric-1, Peter Harding avait également promis un langage Pascal pour le mois de février. L'intrigante question de savoir ce qu'il est advenu de ces projets est jusqu'à présent restée sans réponse.

Et de la part du Dr. Paul Johnson, concepteur de l'Oric :

"Le prochain périphérique que vous verrez apparaître pour l'Oric sera le modem, suivi de près par un lecteur de disquettes 5¼".
Durrell annonce 'Lunar Lander' pour 5 £, ce qui illustre bien la difficulté pour les éditeurs de logiciels indépendants de produire autre chose que des programmes rudimentaires.

La revue Personal Computer News du 10 février 1983 publie une très longue interview de Paul Johnson. Interrogé sur les débuts du projet, ce dernier répond :

"L'Oric a été imaginé par John Tullis au printemps de l'année dernière. John était employé comme consultant financier chez Tangerine. C'est là que lui est venue l'idée d'un ordinateur familial... Nous avons compris qu'il nous faudrait mettre au point une machine à un prix très abordable. Nous avons décidé de conserver le 6502, déjà utilisé sur le Microtan, car c'est probablement le processeur le plus vendu au monde. Ce qui me fascine le plus dans l'Oric, c'est la possibilité de combiner des attributs graphiques en série. Cela va se révéler très précieux pour économiser de la mémoire dans les jeux rapides...Comme point de départ, nous savions qu'il nous fallait un affichage compatible vidéotex. Nous avions réalisé la version TTL durant l'été précédent. Une fois que cette version marchait, nous savions que le principe était bon. Je me suis alors rendu aux Etats-Unis chez California Devices, qui était chargé de la fabrication des circuits CMOS. Nous avons d'abord établi les plans de l'ULA afin de repérer les problèmes potentiels. Nous disposions dès août dernier d'un premier Oric opérationnel, sur lequel des émulateurs TTL remplaçaient les circuits logiques définitifs. Lorsque nous avons reçu début décembre les premières puces finalisées de Californie, que nous les avons substituées aux émulateurs et que ça a fonctionné du premier coup, quel soulagement !"
Et le morceau de bravoure de l'interview :

"En plus d'une superbe machine de jeu, l'Oric peut servir à de nombreuses professions pour s'initier à l'informatique. Pourquoi aller dépenser 20 000 £ dans un système plus important alors que l'Oric vous offre tout ce dont vous avez besoin dans la boutique au coin de la rue."
Comme le proclame la première brochure publicitaire, "L'Oric-1 devrait trôner sur le bureau de tout cadre branché !" Voilà qui, avec du recul, donne à réfléchir...

La ROM a été en majeure partie écrite par deux programmeurs professionnels, Andy Brown et Chris Shaw. Peter Halford, vendeur de téléviseurs à Northampton, est l'auteur des routines de lecture de cassettes (si justement décriées) et d'Oric Mon, que Geoff Phillips mettra des semaines à déboguer. Paul Kaufman a programmé les routines sonores en Forth sur un Microtan, les a transcrites à la main en assembleur, puis transmises à Andy Brown pour qu'il les incorpore à la ROM.

Paul Kaufman raconte une anecdote piquante concernant le premier essai concluant de fonctionnement de la ROM. Les programmeurs en assembleur ont demandé si quelqu'un pouvait taper un programme en Basic et Paul s'est porté volontaire, créant le premier programme jamais écrit pour l'Oric :

10 PRINT "Louise a de belles cuisses"
Louise n'est autre que la secrétaire de Barry Muncaster!

Le boîtier plastique a été conçu par des sous-traitants spécialisés. Les faux trous pour le haut-parleur ont apparemment donné lieu à d'âpres discussions. De vrais trous étaient prévus au départ, mais la presse étant incapable de les produire, on a opté pour ce compromis. Les affichettes et publicités pour le lancement sont l'oeuvre de Paul Sample, illustrateur de livres bien connu outre-Manche.

Le numéro de Personal Computer News mentionné plus haut contient en outre la première publicité : un câble pour raccorder l'Oric-1 à un magnétophone avec télécommande, pour 2,50 £.

La conclusion la plus judicieuse tient peut-être dans ces quelques lignes tirées du magazine What Micro? de février 1983:

"L'Oric est une bonne machine, simple d'utilisation et offrant de grandes possibilités d'extension. Ce n'est pas une révolution, mais vous en aurez pour votre argent."
Le premier listing, intitulé "Junior Mathematician", est publié dans l'hebdomadaire Home Computing Weekly du 8 mars 1983, par un certain David Nowotnik. Au mois de mai, un autre périphérique fait son apparition, une "console" de plastique blanc dotée d'un réceptacle pour l'Oric-1, au prix de 36,95 £, ce qui éveille l'intérêt de la presse spécialisée.

Les bogues du Basic ont été repérés et corrigés. Une nouvelle ROM a été commandée et sera implantée sur toutes les machines sortant des chaînes à la mi-avril." Parle-t-il d'avril 1984 ? Et ce n'est pas tout :

"Plusieurs périphériques pourront être connectés par l'intermédiaire d'un coffret d'extension vendu 15 £ et qui s'emboîte à l'arrière de l'Oric. Le coffret est à peu près de la même taille que l'ordinateur et suffisamment robuste pour supporter le poids d'un moniteur. Il comporte quatre connecteurs pouvant recevoir des modules d'extension, ainsi que des cartouches offrant d'autres langages. Le coffret comporte également des prises joystick standard. Le premier module d'extension prévu pour mai est un modem. Il sera suivi en juin par un contrôleur de disque. Le troisième module sera une boîte multifonction, comprenant des convertisseurs analogique-numérique et numérique-analogique, des relais, et tout ce dont l'amateur d'électronique peut rêver. Pour ce qui est du quatrième connecteur d'extension, plusieurs idées sont à l'étude, parmi lesquelles un synthétiseur vocal... Oric proposera enfin un moniteur 10" pour 240 £."
Eh bien ....


Retour à la Préface
Avancer au Chapitre 2