Chapter 7

Optimisme confondu


Le modem Oric


C'est à partir de ce moment que l'on peut déceler le commencement de la fin. Oric Owner ne paraît pas en août ni en septembre et demeure introuvable en kiosque au mois d'octobre.

Le premier signe avant-coureur est sans doute un article paru dans Personal Computer News du 4 août 1984. On y apprend qu'Oric doit 120 000 £ à Pan Books, l'éditeur du manuel de l'Atmos, et que celui-ci menace de poursuivre Oric en justice si cette dette n'est pas réglée dans la semaine. S'étant adressé à Allan Castle quinze jours auparavant, l'éditeur s'est entendu répondre qu'Oric doit 2 millions à ses 12 principaux fournisseurs. Dans l'article, Allan Castle explique :

"Cet endettement n'est pas anormal. A la fin de chaque mois, nous devons payer environ 2,5 millions à 25 fournisseurs. Or nous investissons actuellement davantage dans la production en prévision de la période de Noël, ce qui explique que nous soyons un peu justes. Pan Books a eu la gentillesse de nous faire un peu plus crédit que d'habitude et nous allons les rembourser sans délai. Notre situation est monnaie courante dans le monde de la micro."
Un nouvel article apporte des précisions le 25 août :

"La semaine dernière, les dettes d'Oric ont atteint les 4 millions et on murmure même que la société pourrait se retirer du marché britannique. 15 personnes ont déjà été licenciées au siège social d'Ascot... Pour apaiser les craintes sur sa situation financière, Oric affirme pouvoir bénéficier de commandes à hauteur de 2,75 millions pour son nouveau clavier allemand destiné à l'Atmos. Les commandes couvrent l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse. Deux grandes chaînes de distribution allemandes ont encaissé pour 2 millions de commandes. La société subit encore le contrecoup des remises accordées par les revendeurs. Il y quelques semaines, le prix de l'Atmos a augmenté de 20 £, mais les tarifs constatés dans les boutiques tournent plus autour de 150 £ que des 190 £ que souhaiterait le constructeur."
Et dans un autre article daté du 8 septembre :

"Alors qu'Oric est aux abois, ses principaux créanciers doivent se réunir cette semaine pour tenter de trouver une issue. Les problèmes de trésorerie ont empiré la semaine passée lorsqu'Oric a dû répondre devant le tribunal à une injonction de KMP, son agence de publicité, pour des impayés atteignant 200 000 £. Le tribunal a rejeté les arguments d'Oric qui prétendait avoir été mal conseillé par KMP, et a condamné le constructeur à régler sa dette et à payer les frais du procès. La société Assembly & Automation Electronics, qui fabrique l'Atmos, se montre pour sa part bienveillante vis-à-vis des difficultés financières d'Oric... Parmi les autres créanciers figure Hitachi, qui fournit les lecteurs de disquettes et d'autres composants. Il est probable que les créanciers vont convenir d'un rééchelonnement des dettes de sorte qu'Oric n'ait rien à débourser tant que la période des fêtes, propice aux ventes, n'aura pas commencé."
C'est effectivement ce que décident les créanciers à l'issue de leur réunion mi-septembre.

Puis paraît Oric Owner numéro 9, daté d'octobre-novembre 1984. Sans surprise, on y apprend que le projet de diffusion en kiosque a été abandonné. En remplacement est lancé un "Oric Club", avec un magazine baptisé Oricall. Il est en outre confirmé que le modem est enfin disponible (18 mois après sa première annonce) au prix de 100 £. Par ailleurs, on peut lire :

"Oric va réserver un nombre substantiel de pages sur [le service télématique] Prestel pour créer un serveur."
Il n'en sera rien, comme de bien entendu. En fait, personne ne verra jamais ne serait-ce qu'une maquette d'Oricall.

Il est intéressant de comparer le prix de vente des différents concurrents en lice sur le marché anglais de l'ordinateur familial autour de Noël 1984 : Atmos 179 £, Spectrum 48k 129 £, C64 199 £, Vic 20 129 £ et CPC464 349 £.

C'est vers cette époque que paraît le livre Advanced User Guide de Leycester Whewell, probablement l'ouvrage le plus utile après le manuel de l'Atmos.

Pendant ce temps, les Français battent le fer tant qu'il est chaud. En octobre 1984, No Man's Land fait une entrée tonitruante sur le marché anglais, avec pas moins de 23 titres. Les utilisateurs britanniques commencent à comprendre ce qu'ils ont raté jusque-là. Pour ne pas être en reste, la société Butex de Cardiff fait de la publicité dans les magazines français pour des logiciels Oric "au prix anglais". Et puis de nouveaux périphériques font leur apparition le même mois : l'interface joystick programmable Protek et l'interface double joystick de DK'Tronic.

Toutefois, les événements qui se déroulent en France viennent confirmer les premiers signes de difficulté. Le PDG de l'importateur A.S.N., Denis Taïeb, démissionne le 1er octobre. Il déclare dans Hebdogiciel :

"Je reste en liaison avec Oric Products International pour des opérations consultatives. Mais même ces fonctions sont compromises par les difficultés rencontrées par Oric Angleterre, les problèmes financiers avec Pan Books, l'editeur du manuel de l'Atmos. Celui-ci, disposant d'une force de presse assez importane, en a profité pour dramatiser la situation. Mais Oric a demandé un moratoire, qui a été obtenu sans difficultés... Les Anglais nous demandaient donc de les payer au comptant. Cela nous a obligé à en faire autant vis-à-vis de nos propres clients. Mais c'est parce que depuis le mois d'avril nos revendeurs font pression sur nous que nous avons decidé d'en faire autant pour Oric Angleterre. Et c'est depuis ce moment-là qu'ils ont des difficultés... J'ai essayé de faire un rapprochement entre Oric France et Oric Angleterre, et je n'ai pas réussi."
Il y a en effet eu des problèmes en mai 1984. Un stock de 20 000 machines ayant été mis sous séquestre par la banque, A.S.N. est intervenu et a acheté le stock pour un contrat de 5 ans, de même que les droits sur les noms Atmos et Stratos en France, et le droit de fabriquer des machines sur le territoire français si bon lui semble. C'est du moins ce qu'affirme A.S.N.

Denis Taïeb révèle également un autre contentieux à propos du nom Oric. Ayant tenté en vain d'empêcher Théoric d'utiliser les lettres "oric" dans le titre de la revue, il a ensuite essayé d'interdire au fabricant de lecteurs de disquettes Jasmin de faire figurer les mots "pour votre Oric" dans ses publicités !

L'Hebdo se tourne alors vers le nouveau patron d'A.S.N., Claude Taïeb (le frère de l'autre !):

"Oric Products vient d'obtenir des prêts du gouvernement brittanique et sa situation financière est donc revenue à la normale. [Note de l'auteur : c'est la seule référence que j'ai trouvée à un tel accord.] Il y a six mois, Amstrad est venu nous demander de distribuer ses ordinateurs en France et nous avons refusé par fidélité envers Oric. Parce que nous croyons en la machine... Pourquoi pas une nouvelle forme de collaboration avec Oric - quand les hommes changent, la politique change."

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